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L’interdiction de déléguer l’exercice de la force publique

L’interdiction de déléguer l’exercice de la force publique à des personnes privées, qualifiée en des termes inédits par le conseil constitutionnel de « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la france ».

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Décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 – Communiqué de presse

Société Air France [Obligation pour les transporteurs aériens de réacheminer les étrangers dont l’entrée en France est refusée]

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 15 octobre, une importante décision QPC dans laquelle il a, pour la première fois, consacré un « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France ». Pour en comprendre la portée, il convient de revenir sur la jurisprudence antérieure du juge constitutionnel français relative au contrôle de constitutionnalité des lois de transposition des directives européennes. Pour mémoire, les directives européennes sont des actes adoptés par les institutions de l’Union européenne qui fixent des objectifs à atteindre pour les États tout en leur laissant une liberté de moyens. La mise en œuvre de la directive implique donc l’adoption d’un acte de transposition, qui peut être un décret ou, comme en l’espèce, une loi. La question se pose alors de savoir si l’acte de transposition peut être contrôlé sur le fondement de la Constitution lorsqu’il se borne à tirer les conséquences de la directive. Le véritable enjeu est alors celui du rapport normatif entre la Constitution et le droit de l’Union européenne. Quelle norme doit l’emporter en cas de conflit ? La Constitution ou la directive que le législateur se borne à transposer ?

A ces questions éminemment sensibles, le Conseil constitutionnel a apporté, en 2004, la réponse suivante : puisque l’article 88-1 de la Constitution prévoit la participation de la France à l’Union européenne, le respect des directives européennes répond à une « exigence constitutionnelle ». Autrement dit, la directive tire son autorité de la Constitution elle-même ! Par conséquent, il n’appartient qu’au juge de l’Union européenne de vérifier la validité d’une directive aux normes européennes de rang supérieur, notamment celles qui consacrent les droits fondamentaux. Lorsqu’elle se borne à tirer les conséquences de la directive, la loi de transposition ne peut donc être contrôlée sur le fondement de la Constitution. Il en va autrement, toutefois, dans l’hypothèse où serait méconnu un « principe inhérent à l’identité constitutionnelle française ». Dans ce cas, en effet, obéir à la directive ne répondrait plus à une exigence constitutionnelle. La doctrine s’est longtemps interrogée sur la portée de cette réserve. Si les principes d’indivisibilité de la République ou de laïcité ont pu être revendiqués comme appartenant à cette catégorie, le Conseil constitutionnel n’avait jusqu’à présent jamais identifié un tel principe. C’est désormais chose faite !

DÉCISION “SOCIÉTÉ AIR FRANCE”

Dans la décision « société Air France », le Conseil constitutionnel juge en effet conformes aux droits et libertés constitutionnellement garantis des dispositions législatives du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prises en transposition d’une directive européenne et prévoyant l’obligation pour les transporteurs aériens de réacheminer un ressortissant étranger dont l’entrée en France a été refusée. Ces dispositions n’ont, en effet, ni pour objet ni pour effet de leur confier une mission de surveillance ou de contrainte. Cette obligation ne méconnaît donc pas l’interdiction de déléguer l’exercice de la force publique à des personnes privées, interdiction que le Conseil déduit de l’article 12 de la Déclaration des Droits de l’Homme et qui a le caractère d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.

Ces motifs viennent rappeler que la primauté du droit de l’Union européenne dans l’ordre interne reste conditionnée au respect de certains principes constitutionnels. Ils seront d’autant plus sujets à commentaires que le Tribunal constitutionnel Polonais a rendu, le 7 octobre dernier, une décision controversée remettant en cause le principe de primauté. Le juriste ne se laissera pas prendre au piège de la polémique. Le Conseil constitutionnel ne fait en réalité (et enfin !) que donner une certaine consistance à une catégorie dont l’existence a été consacrée depuis plus de quinze années… La Cour de Justice étant depuis longtemps soucieuse de prendre en compte, dans sa jurisprudence, les identités constitutionnelles des États membres, le « dialogue des juges » l’emportera très vraisemblablement sur une guerre à laquelle aucune juridiction n’aurait à gagner.

Par Matthieu Thaury, enseignant en droit public

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